Sans confondre grimper et s’entraîner

Au début l’escalade c’est simple : on n’y arrive pas.
Puis on apprend quelques placements de base et en trois mois, on est aussi balèze que les vieux. C’est-à-dire pas très bon quand même. La technique, c’est bien, mais ça ne suffit pas : il faut aussi avoir du power sur les pas de bloc très courts, ne pas être carboné dans les passages soutenus sur plusieurs mouvements sans repos sur une longueur, rester frais après le onzième relais et être capable de se refaire une santé très vite sur tous les bons bacs.
Tout est lié. Celui qui est limite sur la technique va davantage tirer sur les bras, se cramer et dire que c’est trop dur. Celui qui a les bras de Popeye va bourriner et, sans technique, restera lui aussi en bas et dira lui aussi que c’est trop dur. Enfin, pour celui qui n’a ni les bras, ni la technique, cela devient très très dur.

Un peu de théorie

Pour fonctionner, les cellules de nos muscles consomment de l’énergie et rejettent des déchets. Elles utilisent plusieurs sources d’énergie.
L’une, stockée dans la cellule, est directement utilisable sans apport d’oxygène (anaérobie) mais se régénère lentement : c’est l’énergie des sprinteurs. Elle permet un effort intense mais bref, suivi d’un coup de pompe.
L’autre source d’énergie, stockée dans les graisses, a besoin d’oxygène (aérobie) pour être utilisable mais dure très longtemps (c’est l’énergie des marathoniens).
Lors d’un effort, les cellules utilisent ces deux types d’énergie.
Et puis il y a l’acide lactique, ce déchet sécrété pendant l’effort. Il s’accumule dans le muscle jusqu’à l’empêcher de fonctionner.

Comment progresser

Comme les grimpeurs n’ont pas forcément fait médecine ou pharma, entre nous on parle plus volontiers de filière « force », « résistance » ou « continuité ». En gros, la force te permettra (si elle est avec toi) de ne pas rester scotché·e au pas de bloc entre les deux premiers spits, la résistance de ne pas abdiquer avant d’arriver à ce gros trou que tu avais repéré du bas et la continuité (on dit aussi « conti » dans les milieux autorisés) te donnera le luxe de te refaire à neuf avant de tenir les dernières arquées avant la chaîne. Personne ne dit « J’ai les muscles pleins d’acide lactique », mais plutôt « Prends-moi, je suis cramé » ou « J’ai les bouteilles ».

Or, on est toujours limité par la filière la plus faible. C’est bien connu, les filles manquent de bras et les garçons manquent de doigts.
Réfléchis à ta dernière longueur. Quand tu étais à toc, c’était où ? En bas ? Bosse la force. Sur une section sans repos ? Bosse la résistance. En haut ? Bosse la conti. Tout le temps, change de sport.

J’en suis où dans ma pratique ?

Je suis débutant
Pour toi, les choses sont simples, tu n’as besoin ni de force, ni de résistance, ni de continuité : il te faut de la technique. Écoute ton prof et relis ces lignes dans deux ans.

Je stagne dans le 5+
Pour toi aussi, les choses sont simples. Tu as assez de force, de résistance et de continuité. Ce qui te manque, c’est encore de la technique. Écoute ton prof et relis ces lignes dans deux ans.

Je stagne dans le 6a
Ta seule séance de semaine est suffisante pour progresser encore. Pas d’exercice spécifique. Fais du pan en début de séance pour te cramer, puis va dans les voies longues pas trop dures. Quand on tient mieux les prises dures, on doit pouvoir les tenir plus longtemps.

Je stagne dans le 6b
Une seule séance est trop peu pour tout travailler. Concentre-toi sur ton point faible. Mais ne néglige pas trop le reste quand même. Car trop de séances de force induisent une dé-coordination du fonctionnement des groupes musculaires. Tu perdrais en efficacité ce que tu as gagné en puissance.
Les placements sont à peaufiner quand on est maigre et qu’on n’a pas le temps de s’entraîner : il faut alors être malin.

Je travaille du 7a
La technique est là. Les placements sont bons et automatiques. Il faut donc consacrer plus de temps à l’amélioration de tes capacités physiques. Quelques footings ou du vélo sont excellents pour la récupération.
Dissocie tes séances d’entraînement pour ne travailler qu’une filière à la fois. Les prises sont plus petites, donc plus dures à tenir. S’il n’y en a que deux ou trois, ça va, mais si elles s’enchaînent, la résistance fait cruellement défaut. Tu passes tous les pas mais tu es incapable de les enchaîner. Dommage. Même malin·e, tu es vite cramé·e après cinq ou six bidoigts, surtout quand il n’y a rien pour les pieds.
C’est une certitude : si tu ne travailles que la force sans améliorer la récupération, tu resteras à jamais à dix mouvements d’autonomie.

Je stagne dans le 8c+
Change de club et inscris-toi tout de suite au championnat du monde. Mais avant de partir, donne-nous quelques conseils…

Comment s’entraîner

Commence toujours les séances par un échauffement tranquille (choisis une voie deux cotations sous ton niveau, par exemple 4+ pour un grimpeur de niveau 6a).

Échauffe d’abord les gros groupes musculaires (biceps, triceps, quadriceps, deltoïdes, trapèzes, adducteurs) en valorisant uniquement les grosses prises. Puis échauffe les petits muscles (abdominaux, avant-bras, doigts et orteils, sans oublier la nuque).

Le principe général
Le but est d’épuiser un peu le muscle par séries successives. C’est plus efficace qu’un seul épuisement profond. Cela permet d’améliorer en même temps la récupération. Chez un grimpeur de base, plus la récup est bonne, plus ses chances de sortir en haut sont élevées. Si t’es naze au premier essai il te faudra une sacrée conti pour te cogner les trente mètres non stop !

Pour bosser la force
Choisis une voie de cinq à dix mouvements suffisamment dure pour être mort·e à chaque essai.
Enchaîne-la.
Repose-toi pendant un temps égal au temps de l’essai. Recommence six fois de suite.
Fais six séries espacées de vingt minutes.

Pour bosser la résistance
Choisis une voie de dix à vingt mouvements suffisamment dure pour être mort·e à chaque essai.
Enchaîne-la.
Repose-toi pendant un temps égal au nombre de mouvements (dix minutes de repos après dix mouvements, ou vingt minutes de repos après vingt mouvements).
Refais l’exercice cinq fois (en faire plus nécessite de travailler à plus faible intensité).

Pour bosser la continuité
Choisis une voie de trente à quarante mouvement et un chiffre sous ton niveau (5a pour un grimpeur 6a).
Enchaîne-la. Repose-toi cinq minutes. Recommence trois fois.
Fais trois séries espacées de quinze minutes.

Pour bosser la récupération
Footing, vélo et récupération active entre les séries. Favorise l’élimination des toxines accumulées en buvant et en relâchant les muscles. Y compris en grimpant, d’ailleurs.

Et la muscu
La muscu permet de travailler la force.
Alterne pompes, tractions, triceps, gainage toutes les trois ou quatre minutes. L’ensemble dure environ vingt minutes.
Si tu n’es pas mort·e, repose-toi pendant vingt minutes et recommence. Si tu n’es pas mort·e, repose-toi pendant vingt minutes et recommence. Si tu n’es pas mort·e, repose-toi pendant vingt minutes et recommence…

Mélanger les genres
Une même séance ne doit comporter qu’une filière.
À la rigueur, on peut mélanger force et continuité. Il faut dans ce cas commencer par le travail de force et moduler le niveau de la voie de conti en fonction de la sauce qu’il te reste pour finir la voie, sinon cela ne sert à rien.
Par contre, tout est lié : si tu élèves ton niveau de force, tu gagnes en résistance car tu te flingues moins sur les mouvements durs, donc tu enfiles plus sans repos intermédiaire (CQFD). Idem : la bière apporte beaucoup d’énergie rapide, mais comme ton bide pèse plus, tu en baves davantage.

Et le gainage ?
Ah oui, le gainage. Après toute cette torture, tu te prends pour Edlinger dans La vie au bout des doigts et tu veux te frotter au toit de DSF. Seulement voilà, sans les abdos, tu fais lamentablement le saucisson qui sèche sans jamais passer le réta de fou. C’est maintenant que tu cries « J’ai les bras pleins d’acide lactique ! », pardon, « Prends-moi, je suis sec ! », ce qui n’a rien d’étonnant pour un saucisson. Il fallait lire l’article jusqu’au bout, ça t’apprendra à vouloir travailler ta conti sous la couette en bonne compagnie !
Le gainage mobilise presque tous les muscles du corps pour que les pieds ne glissent pas et puissent contrôler les mouvements de pendule des jambes, inévitables dans les dévers (ces mouvements sont aussi appelés « portes de grange »). Donc pour le gainage, le pan est idéal.

On a oublié la peur de tomber
Ça aussi, ça se travaille. Le plus simple, c’est d’emmener un Tupperware dans ton sac et d’y laisser ta cervelle pendant que tu grimpes. De toutes façons, personne veut te la piquer.

Pour ceux dont la vie est trop remplie
Grimper est la meilleure façon de progresser.

Conclusion

Depuis quinze ans que je grimpe, je n’ai jamais fait tout ça. Les mauvaises langues diront que tout s’explique.

Morale de la conclusion

N’empêche, l’escalade n’est pas une course à la performance. J’aime bien voir briller les yeux de quelqu’un heureux de son premier rappel toile d’araignée.

Conclusion de la morale

L’escalade doit rester ton plaisir. Bons vols !

HERVÉ